Edvard Munch n'a pas connu Joel-Peter Witkin.
Sinon, il n'aurait pas dit que « la photo ne peut représenter ni le paradis, ni l'enfer ».

Enfer ou ciel, de retour de la BNF Richelieu, je n'avais plus d’interrogations.
Je revenais de l'Enfer.

Malgré la bienveillante affiche qui avertissait les visiteurs que « certaines images sont susceptibles de heurter leur sensibilité », la visite fut un véritable choc, émotionnel et esthétique.

Imaginez un photographe, dont la vaste culture nourrit, imprègne dans les moindres détails les images, revisitant les œuvres, les mythes et les mythologies du passé.

Imaginez un photographe qui pense longuement ses clichés avant de passer en studio, pour réaliser avec précision sa mise en scène lors de la prise de vue, et ensuite retravailler la photographie comme une toile, en grattant, écorchant, peignant et découpant les négatifs ou le tirage, pour parvenir à un objet qui n'est plus vraiment une image argentique, ni une peinture, ni une gravure mais une entité esthétique diabolique.

Joel-Peter Witkin, The Beast, 1984
Joel-Peter Witkin, The Beast, 1984

Louis Jean Desprez, La Chimère, 1771
Louis Jean Desprez, La Chimère, 1771

Maintenant, imaginez une œuvre à la sexualité crue, dérangeante par son refus systématique d'être enfermée dans une normalité de bon goût.

Joel-Peter Witkin, Woman Breastfeeding an Eel, New Mexico, 1979
Joel-Peter Witkin, Woman Breastfeeding an Eel, New Mexico, 1979

Giovanni Pietro Pedrini Ricci, dit Giampietrino (1493 - 1540) Le Suicide de Cléopâtre mordue par un aspic XVIe siècle Paris, musée du Louvre.
Giovanni Pietro Pedrini Ricci, dit Giampietrino (1493 - 1540)
Le Suicide de Cléopâtre mordue par un aspic
XVIe siècle Paris, musée du Louvre

Imaginez une œuvre qui fait la part belle aux êtres différents, nains, monstres de foire, obèses, transsexuels, auxquels bien souvent notre regard nie leur humanité.

Joel-Peter Witkin, Melvin Burkhart
Joel-Peter Witkin, Melvin Burkhart

Imaginez enfin une œuvre habitée par la Mort, sous sa forme la plus charnelle, les cadavres.

Joel-Peter Witkin, The Kiss, New Mexico, 1982
Joel-Peter Witkin, The Kiss, New Mexico, 1982

Alors soyez conscient que votre imagination est faible et que ces quelques images sont parmi les moins dérangeantes du photographe américain !

Et si vous vous décidez à visiter l'exposition de Joel Peter Witkin, gardez à l'esprit les vers de la Divine Comédie quand vous passerez la porte de l'Enfer :
Par moi on va vers la cité dolente ;
Par moi on va vers l'éternelle souffrance ;
Par moi on va chez les âmes errantes.
La Justice inspira mon noble créateur.
Je suis l'œuvre de la Puissance Divine,
de la Sagesse Suprême et de l'Amour.
Avant moi, rien ne fut créé
sinon d'éternel. Et moi, je dure éternellement.
Vous qui entrez, abandonnez toute espérance.