Moi qui ne suis ni photographe portraitiste, ni particulièrement amateur de portraits, je suis ressorti de l'exposition Fichés ? Photographie et identification du Second Empire aux années 60 avec le vertige !

Vertige devant l'appropriation de la photographie, alors naissante, par la police du XIXème siècle pour en faire un instrument de contrôle.

D'abord empirique, l'usage de la photographie va devenir scientifique et codifié grâce à Alphonse Bertillon.

Aux différentes mesures présentes sur la fiche d'identification anthropométrique (dite fiche parisienne), le fonctionnaire de police ajoute un portrait "face-profil", complètement codifié pour la prise de vue (angles, lumière) et la production, et ainsi transformé en mesure physique, au même titre que la taille de l'individu ou la dimension de son oreille droite.

Portrait Anthropométrique de Bertillon
Portrait Anthropométrique de Bertillon

Par ailleurs, la photographie, imprimable désormais à grande échelle, devient le moyen idéal pour illustrer la méthode de Bertillon avec ses nécessaires classifications.

Oreilles

Vertige, qui se prolonge et s’amplifie avec la suite de l'exposition.

Les fichiers ne cessent de se multiplier au cours du XXème siècle.
D'abord restreints aux criminels, ils concernent des populations de plus en plus variées: opposants politiques, forains et nomades, demandeurs d'asile, etc.
Des noms connus apparaissent au gré des vitrines et des différents fichiers : Trotsky, Bunuel, Bartok, Dali, Hitler et quelques autres.

Fiche Dali. Archives Nationales

fiche Hitler. Archives Nationales.

La principale qualité de l'exposition, par sa richesse et la diversité des pièces présentées, est de nous permettre d'appréhender l'ampleur du fichage, qui s'exerce bien évidemment de façon paroxystique durant les périodes troubles, comme l'occupation allemande ou les guerres coloniales d'Indochine et du Maghreb , mais aussi, comme activité ordinaire, dans les périodes plus calmes.

Si les fiches cartonnées ont maintenant leur place au musée, avec leurs clichés "face-profil" surannés, combien de fiches électroniques nourries par nos téléphones, ordinateurs, cartes de paiement ou de transport et autres vidéos de surveillance sont elles en train de se constituer ?

Ultime vertige, dans la cour de l’Hôtel de Soubise, devant une cabine Photomaton© offrant au visiteur de repartir avec sa fiche souvenir.
Quel cynique clin d’œil sur cette société française qui avait proposé ses services à l'occupant allemand en 1941 :

Nous pensons que le rassemblement de certaines catégories d'individus de race juive dans des camps de concentration aura pour conséquence administrative la constitution d'un dossier, d'une fiche ou carte, etc.
Spécialiste des questions ayant trait à "l'identité", nous nous permettons d'attirer particulièrement votre attention sur l'intérêt que présentent nos machines automatiques Photomaton susceptibles de photographier un millier de personnes en six poses et ce en une journée ordinaire de travail (…)
La qualité très spéciale du papier ne permet ni retouche ni trucage.


A écouter: l'émission de France Culture "Identités de papiers dans La Fabrique de l'Histoire" consacrée à l'exposition.