Nous sommes Dimanche Soir, c'est l’heure de "Cinéma de Minuit"


fr3_1991_1992_cinema_de_minuit par chrisatreide


Après le générique, c'est Patrick Brion qui, de sa voix si reconnaissable, nous présente le film :

"Ce soir, "Freaks, la monstrueuse parade", un film N&B de Tod Browning, sorti en 1932.
Dans ce film, le réalisateur présente des "monstres de foire", sœurs siamoises, femme à barbe, nains, hermaphrodite, homme tronc, comme une fraternité humaine, honnête et digne, alors que les vrais monstres, aux cœurs arides, sont deux êtres "normaux", prêts à tuer par cupidité"

"Une parade monstrueuse", l'expression s'est imposée dans mon esprit, en parcourant les salles de la rétrospective sur Diane Arbus au Jeu de paume, avec ses travestis, nains russes et géant juif, nudistes, trisomiques ou tatoués mais aussi personnes "normales" dont la monstruosité est latente, telle cette femme avec, dans ses bras, son singe, habillé comme un nouveau né.

La visite est finalement une expérience très troublante, éprouvante même, car la confrontation avec les clichés est brutale et frontale.
Le sujet est en face de nous, dans sa pureté et son absolue présence.
Toujours avec un glissement de son état présumé vers un état révélé, justement par la prise de vue et l’œil de l'artiste.

Ainsi le jeune homme au canotier semble l'image même du jeune américain, banalement normal et à priori sympathique. Et pourtant, sur sa veste est épinglé un badge "Bomb Hanoi" (Bombardez Hanoï), appelant le chaos sur la cité vietnamienne.

Jeune homme au canotier attendant de défiler en faveur de la guerre, N.Y.C. 1967 © The Estate of Diane Arbus
Jeune homme au canotier attendant de défiler en faveur de la guerre, N.Y.C. 1967
© The Estate of Diane Arbus



Une pose figée, des vêtements identiques et les deux jumelles deviennent de troublantes sœurs siamoises.

Jumelles identiques, Roselle, New Jersey, 1967 © The Estate of Diane Arbus LLC, New York
Jumelles identiques, Roselle, New Jersey, 1967
© The Estate of Diane Arbus LLC, New York

Photographe de célébrités (Jose luis Borges, Norman Mailer et Mae West entre autres), Diane Arbus est aussi capable de magnifier une simple ménagère porto-ricaine en vedette de cinéma semblant se prêter à une séance de photographie, dans sa chambre d’hôtel.
Une ménagère Portoricaine, NYC, 1963 © The Estate of Diane Arbus
Une ménagère Porto-ricaine, NYC, 1963
© The Estate of Diane Arbus

La danseuse aux seins nues, assise dans sa loge, nous fixe et perd sa charge érotique, dans la banalité de la pièce, avec le sac à main glissé sous la coiffeuse et les paires de chaussures.
Et sa poitrine à la blancheur éclatante nous révèle que si elle montre ses seins pour gagner sa vie, elle les cache pour bronzer...

Danseuse Topless dans sa loge, San Francisco, Californie 1968 © The Estate of Diane Arbus
Danseuse Topless dans sa loge, San Francisco, Californie 1968
© The Estate of Diane Arbus

Le Père Noël lui même induit le malaise quand il se multiplie anormalement!

Pères Noël à l'école des Pères Noël d'Albion, N.Y. 1964, © The Estate of Diane Arbus LLC, New York
Pères Noël à l'école des Pères Noël d'Albion, N.Y. 1964
© The Estate of Diane Arbus LLC, New York

Ces oscillations entre normalité et a-normalité ébranlent le visiteur, le privent de ses repères.

Regarder les images de Diane Arbus n'est pas une expérience esthétique.
Elles ne sont pas belles, elles sont fortes, troublantes, inquiétantes mais pas belles.
Je n'ai jamais visité une exposition en pensant aussi peu à la photographie.
J'étais même surpris, en visitant les dernières salles, de découvrir combien l'artiste attachait de l'importance à la technique passant du 24x36 au grand format 6x7, pour avoir une meilleure qualité de prise de vue.
J'avais fini par traverser les photographies pour ne plus voir que les sujets et leur réalité.

J'étais aussi mal à l'aise de la perméabilité entre la vie de l'artiste et son œuvre.
Là, ou la photographie doit permettre une distance avec le sujet, Diane Arbus la fait éclater avec violence.

Encore plus dans ses derniers travaux, réalisés dans des établissements pour attardés mentaux, ou il semble que son monde n'est définitivement plus le notre.
Depuis son nouveau monde, elle nous offre finalement ses images les plus sereines, d'une étrangeté paisible, comme cette jeune fille, allongée dans l'herbe.

Untitled, 1970-1971, Diane Arbus © The Estate of Diane Arbus LLC, New York
Sans Titre, 1970-1971
© The Estate of Diane Arbus LLC, New York

Mais avant de quitter le Jeu de Paume, j'ai cru reconnaitre, dans l’œil masqué d'une participante à une bien curieuse parade, le même regard apeuré que celui du "Phantom of the Paradise".
Encore un monstre....

Untitled #14, 1970-1971, Diane Arbus © The Estate of Diane Arbus LLC, New York
Sans Titre #14, 1970-1971, Diane Arbus
© The Estate of Diane Arbus LLC, New York

Phantom of the Paradise

Le 26 juillet 1971, Diane Arbus se suicide. Elle ne reviendra plus de ce coté du miroir...

A écouter: l'émission de France Culture "L'Atelier de la Création" consacrée à la photographe.

Et si vous entendez bien la langue de Shakespeare, voici un documentaire réalisé en 1972, la même année que la Biennale de Venise ou les photographies de Diane Arbus furent la sensation du pavillon américain.