L'Oeil Curieux

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Tag - Fondation Pierre Bergé - Yves Saint Laurent

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mercredi 15 août 2012

Petites chroniques japonaises

J'ai la certitude que Benzaiten, déesse du savoir, de l'art et de la beauté, de l'éloquence, de la musique, de la littérature, des arts (et accessoirement des sciences, de la vertu et de la sagesse, de la prospérité et de la longévité), a organisé, spécialement pour l'Oeil Curieux, un « été japonais ».

Seule une intervention divine peut expliquer cette conjonction, à Paris et à Angoulême, d'expositions sur des thèmes aussi variés que le Kabuki, les mangas et la laque, associant la peinture, le dessin et la photographie.

Comme Benzaiten appartient à la bien connue bande des « Sept divinités du bonheur », bande côtoyée par mon plus jeune fils, actuellement au Japon, je la soupçonne de m'avoir adressé ainsi un clin d’œil de l'empire du Soleil Levant !

Vous souhaitez connaître un programme culturel estival concocté par une divinité ?
Suivez-moi !

Entrée en matière avec les arts traditionnels et le Kabuki, grâce à la somptueuse exposition de la fondation Pierre Bergé - Yves St Laurent.



Les costumes de scène de ce théâtre très codifié, ou des acteurs masculins occupent aussi les rôles féminins, sont de véritables œuvres d'art, aux étoffes richement décorées.

Manteau court (haori) et kimono (kitsuke) avec motif de pins sous la neige. Japon, 1940s ©Shochiku Costume Co, Ltd, Tokyo
Manteau court (haori) et kimono (kitsuke)
Décor de pins sous la neige.
Japon, années 1940
© Shochiku Costume Co, Ltd, Tokyo

Manteau court (haori) et kimono (kitsuke)  à décor de poulpe et de coquillages Japon,années 1980 ©Shôchiku Costume Co, Ltd, Tokyo
Manteau court (haori) et kimono (kitsuke)
Décor de poulpe et de coquillages.
Japon,années 1980
© Shôchiku Costume Co, Ltd, Tokyo

J'ai été séduit par ce décor de poulpe, animal que j'affectionne particulièrement.

Hokusaï, Le Rêve de la femme du pêcheur
Hokusaï, Le Rêve de la femme du pêcheur

Animal que j'affectionne même avec gourmandise !

Nigiri Sushi au Poulpe (Tako)
Nigiri Sushi au poulpe (tako)


Takoyaki by yomi955

Takoyaki, spécialité d'Osaka au poulpe

Mais je m'égare, je m'égare ! (C'est le danger d’écrire un billet à l’heure du repas...).

Véritable cadeau des dieux, enfin d'une déesse, l'exposition du musée Cernuschi sur les oeuvres de Shibata Zeshin m'a ensuite délecté.
« Rèves de laque », les Inrõ, boites à compartiments, les écritoires, les boites à encens révèlent la maitrise de l'artiste-artisan laqueur, avec des décors raffinés et un rendu des matières et textures stupéfiant de réalisme.

Inros, Collection Catherine et Thomas Edson, San Antonio Museum of Arts © San Antonio Museum of Art, photo Douglas Chew Ho
De gauche à droite

Inro à décor de chasse aux lucioles, laque sur bois
Bouton (ojime) en métal reproduisant un faisceau de troncs de bambou
Contrepoids (netsuke) en forme de boite laquée à décor en laque colorée

Inro à décor de fantôme apparaissant derrière une moustiquaire, laque sur bois
Bouton (ojime) en ivoire en forme de crâne
Contrepoids (netsuke) en laque décoré de dieux et démons

Inro à décor de baton d'encre et d'encens, laque sur bois
Bouton (ojime) en perle de corail
Contrepoids (netsuke) en ivoire en forme d'aigle

Collection Catherine et Thomas Edson, San Antonio Museum of Arts
© San Antonio Museum of Art, photo Douglas Chew Ho

La même perfection habite cette improbable vision d'un rapace et de son reflet dans l'onde d'une cascade.

Faucon se mirant dans une cascade, Collection Catherine et Thomas Edson, San Antonio Museum of Art Ó San Antonio Museum of Art/ photo Peggy Tenison,
Faucon se mirant dans une cascade
Paire de rouleaux verticaux
Encre et couleurs légères sur soie
Collection Catherine et Thomas Edson, San Antonio Museum of Art
© San Antonio Museum of Art/ photo Peggy Tenison

Pour prolonger le rêve, j'ai emporté le superbe catalogue en quittant le musée...

Bien informée de mes passions, la déesse m'a fait découvrir Yutaka Takanashi, une des figures importantes de la photographie nippone d'après-guerre, à la Fondation Cartier Bresson.
D'abord photographe de l'invisible, avec ses clichés au Noir et Blanc poétique, Takanashi bascule, quelques années plus tard, dans une exploration du temps suspendu, avec les couleurs des bars du quartier Golden-gai de Tokyo et sa série Machi (la ville), ses vieilles ruelles et ses intérieurs.

© Yutaka Takanashi, Machi, 1975, Galerie Priska Pasquer, Cologne
© Yutaka Takanashi, Machi, 1975
Galerie Priska Pasquer, Cologne

Yutaka Takanashi, Gare de Tokyo, quartier de Chiyoda, 1965 (c) Yutaka Takanashi / Courtesy Galerie Priska Pasquer, Cologne
Yutaka Takanashi, Gare de Tokyo, quartier de Chiyoda, 1965
(c) Yutaka Takanashi / Courtesy Galerie Priska Pasquer, Cologne

En Charente, m'attendait « Mangapolis : un été japonais », un ensemble de six expositions proposées par la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image d'Angoulême : « La ville japonaise contemporaine dans le manga », « Dreamland, manfra des merveilles » « Tatsumi, de la planche à l’écran », « Haïku », « Portraits japonais, photographies de Nicolas Guérin » et enfin « Taniguchi Jirô, éloge du détour ».

Les planches de Taniguchi m'ont replongé, avec grand plaisir, dans l'univers de cet auteur, fait des petits émerveillements de la nature, de la richesse des relations humaines ou du plaisir de se perdre dans la ville.

Jirô Taniguchi, L'Homme qui marche, Casterman
Jirô Taniguchi, L'Homme qui marche, Casterman

Nous incitant bien souvent à l'introspection, ce remarquable auteur, au graphisme empreint d'une grande quiétude, réussit aussi à nous faire ressentir avec une rare intensité les plaisirs de la table d'un gourmet, autre marcheur solitaire.

Jirô Taniguchi, Le gourmet solitaire, Casterman
Jirô Taniguchi, Le gourmet solitaire, Casterman

Personnellement, une envie de restaurant japonais m'envahit après chaque lecture du « Gourmet Solitaire » !

Pour terminer sur une ultime pirouette, mangas et photographie ont fusionné à la Maison Européenne de la Photographie, avec d'étonnants portraits réalisés par Anderson & Low.
Dans « Manga Dreams », la réalité glisse vers l'univers graphique des mangas et de l'Anime.

Anderson & Low, Untitled (The Sunset Duel)
Anderson & Low, Untitled (The Sunset Duel)

Anderson & Low, Untitled (Forest Defender)
Anderson & Low, Untitled (Forest Defender)

Alors, plutôt réussi ce divin programme culturel, non ?



dimanche 22 janvier 2012

Les portraits, c'était mon plaisir

Avant de fuir à nouveau le nazisme, en quittant la France en 1940, Gisèle Freund, jeune femme juive, historienne de l'art et photographe, engagée politiquement contre le fascisme, avait déjà fui son pays, l'Allemagne, après la nomination d’Hitler au poste de Chancelier en 1933.

A Paris, durant ses sept années d'exil, la jeune photographe va fréquenter les plus grands écrivains de l'époque.
Et porter l'art du portrait à son plus haut niveau, nourrissant de son amour pour la littérature des images ou, comme le croyaient certains peuples primitifs, l’âme du sujet est emprisonnée.

Ici, c'est le Prix Goncourt 1933 ("La condition Humaine"), André Malraux qui est saisi, la mèche au vent.
Il a déjà volé des statues Khmères à Angkor, il va s'engager auprès des républicains durant la Guerre d'Espagne (et écrire "L'Espoir"), devenir résistant, puis ministre de la culture du général de Gaulle.
Sa vie est déjà un roman, mais de nombreux chapitres sont encore à écrire.
Quelques semaines après ce cliché, en juin 1935, André Malraux sera l'un des animateurs du Congrès international des écrivains pour la défense de la culture, manifestation que couvrira Gisèle Freund, avec David "Chim" Seymour.

André Malraux, 1935 © Gisèle Freund
André Malraux, 1935 © Gisèle Freund

Là, c'est l'écrivain et poète Léon-Paul Fargue, dans une posture peu académique: le piéton de Paris est alité, rédigeant peut être une de ses chroniques sur la vie parisienne.
(Le conseil littéraire du jour : "Poisons", de Léon Paul Fargue, aux éditions "Le temps qu'il fait", extraordinaires chroniques de bistrots.
«Citerai-je tous les bistros où il me fut donné d’être jeune et heureux, entouré de camarades, de pensées consolantes ou d’épaules de demoiselles ?» )

Léon-Paul Fargue au lit, clope au bec, 22 Novembre 1938 © Gisèle Freund
Léon-Paul Fargue au lit, clope au bec, 22 Novembre 1938 © Gisèle Freund


Si Gisèle Freund excelle dans le portait en N&B, elle est aussi une pionnière de l'utilisation de la couleur, technique encore peu appréciée des puristes de l'époque.

Quel usage éclatant de cette couleur toute neuve, dans l’énigmatique portrait de Cocteau avec cette énorme main rouge, cherchant à effleurer l'épaule du poète pour le sortir de sa rêverie !

Jean Cocteau sous l'enseigne d'un gantier , 29 Juin 1939  Tirage photographique couleurs © Gisèle Freund / Collection Galerie de France, Paris
Jean Cocteau sous l'enseigne d'un gantier , 29 Juin 1939
Tirage photographique couleurs
© Gisèle Freund / Collection Galerie de France, Paris

Gisèle Freund disait : "Les portraits, c'était mon plaisir".
C'est maintenant notre plaisir de les retrouver dans l'admirable exposition de la Fondation Pierre Bergé - Yves Saint Laurent, ainsi que d'autres œuvres, comme les reportages dans les bas fonds d'une Angleterre ravagée par la crise, réalisés pour le magazine "Life".


P.S.
Le portrait de Malraux par Gisèle Freund a servi de modèle à un timbre de la Poste, édité en 1996.
Entretemps, Malraux avait arrêté de fumer.....

Timbre_Malraux.jpg