L'Oeil Curieux

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samedi 16 novembre 2013

Gerta et André

Leur vie fut un roman.

Avant même leur rencontre, leurs itinéraires s’inscrivirent dans une Europe où la peste brune se répandait.

Gerta Pohorylle, juive et gauchiste, quitte son Allemagne natale pour échapper à la répression contre les juifs déclenchée par Adolf Hitler.
Elle se réfugie à Paris.

André Friedmann, antifasciste et hongrois, doit quitter son pays pour éviter l’emprisonnement pour activisme.
Réfugié en Allemagne, il fuit en Autriche avec l'arrivée au pouvoir du chancelier Hitler.
Mais la dictature d'Engelbert Dollfuss le pousse à nouveau au départ.
Il se réfugie à Paris.

Gerta et André se rencontrent au Café Le Capoulade, au 63 du Boulevard St Michel, où se retrouvent les exilés et militants de gauche de toute l'Europe.
Vient l'histoire d'amour.
Vient l'invention géniale qui métamorphose André en « Robert Capa » et Gerta en « Gerda Taro », pseudonymes sur lesquels planent les ombres du cinéaste Franck Capra et de l'actrice Greta Garbo.
Quoi de plus normal pour une vie romanesque.

La suite, pour les passionnés de photographie et de son histoire, est bien connue, et je l'ai évoquée à l’occasion de l'exposition sur la Valise Mexicaine.
Leur antifascisme et la photographie les amènent à couvrir la guerre d'Espagne.

Capa rencontre le début de la gloire le 5 septembre 1936, avec son cliché « Mort d'un soldat républicain ».

Taro rencontre la mort le 25 juillet 1937, à Brunette, en percutant un char T-26.
Elle est enterrée le jour de ses 27 ans au Père-Lachaise.

J'ai retrouvé avec émotion Gerta et André dans le livre de Susana Fortes.
En attendant Robert Capa de Susana Fortes

Si le style déployé dans « En attendant Robert Capa » n'est pas inoubliable, l'auteur donne chair à deux icônes dans un récit bien mené.

Les dialogues sont crédibles et les allers-retours entre d'une part le fil narratif, chronologique, du récit et d'autre part les digressions sur le passé ou l'avenir des personnages imprime un rythme intéressant à l'ouvrage.

La guerre d'Espagne me semble bien rendue, avec son effervescence, ses volontaires étrangers et la démission des démocraties occidentales.
Mais, sans doute parce qu'ils sont des icônes, j'ai trouvé que les scènes de sexe entre Taro et Capa, même chastes, n'apportent rien.

Mais c'est la seule réserve sur un livre qui, s'il n'est pas un chef d’œuvre, m'a fait partager les vies romanesque mais bien réelles, d'une jeune Allemande et d'un jeune Hongrois, grand photographes, dans une époque troublée, prélude tragique à la Seconde Guerre Mondiale, .

La romancière, dans la postface, précise qu'une photographie de Taro, prise par Capa, est à l'origine de son ouvrage.
Celle ci, retrouvé avec la Valise Mexicaine.
Robert Capa, Gerda Taro endormie, Paris, 1935-36© International Center of Photography / Magnum Collection International Center of Photography
Robert Capa, Gerda Taro endormie, Paris, 1935-36
© International Center of Photography / Magnum Collection International Center of Photography

Pour compléter ce roman biographique, je vous conseille d’enchaîner sur une biographie romancée complètement dans le sujet  : « Slightly out of Focus/ Juste un peu flou » par Robert Capa lui même.
Juste un peu flou : Slightly out of focus de Robert Capa.jpg
Cette autobiographie, sans aucun doute bien embellie par un Capa charmeur, au style élégant, nous plonge, de 1941 à la victoire, dans l'Europe en flammes.
Le voyage est passionnant, avec une alternance de passages profondément émouvants sur les drames d'un conflit et d'autres, bien plus légers, sur sa relation avec Pinky, sa maîtresse du moment.
Il y a de nombreuses photographies, dont celles, célèbres, prises lors du débarquement sur Omaha Beach, le 6 juin 1944, avec les hommes du 16e régiment d'Infanterie.
Définitivement un must pour l'admirateur de photographes de guerre que je suis !

samedi 27 avril 2013

Noir et Blanc d'Espagne

Je conserve un souvenir très fort de ma première lecture de l'Espoir de Malraux .
Le rythme des premières pages, avec ces appels téléphoniques qui disent la situation entre républicains et nationalistes, crée une tension qui reflète bien la Guerre d'Espagne, une guerre idéologique.



Pour faire court, le 17 juillet 1936, un coup d'État militaire et nationaliste tente de renverser le gouvernement républicain, issu de la victoire du Frente Popular (Front Populaire), coalition de gauche, aux élections générales de février 1936.
Le putsch se transforme ensuite en une guerre civile qui dure jusqu'à la victoire de nationalistes et la mise en place de la dictature franquiste.

La guerre d'Espagne est une tragique répétition de la guerre mondiale à venir : les nationalistes sont soutenus par l'Allemagne Nazie et l'Italie Fasciste, les républicains par l'Union Soviétique.
Les démocraties occidentales, préfigurant les accords de Munich de 1938, appliquent une frileuse politique de non-intervention.
A défaut d'un soutien officiel des états, les républicains reçoivent l'aide de nombreux volontaires, communistes ou anti fascistes, qui viennent, du monde entier, combattre à leurs cotés, comme les Brigades Internationales, la Brigade Abraham Lincoln ou la Colonne Durruti.
Parmi les plus connus: Hemingway, Georges Orwell, Simone Weil et André Malraux.
Les populations civiles sont durement éprouvées par les combat et les bombardements aériens comme à Guernica.
Au sein même du camp républicain, des affrontements sanglants opposent les communistes prosoviétiques aux anarchistes et au communistes du POUM.

Le Musée d’art et d’histoire du Judaïsme nous permet de replonger dans cette époque trouble et passionnante par une exposition tout simplement exceptionnelle.

La Valise mexicaine dont il est question contenait 4500 négatifs d’images de la guerre civile espagnole, prises entre 1936 et 1939 par Robert Capa, mais aussi par sa compagne Gerda Taro et par David Seymour, dit Chim.

© International Center of Photography. Boîte rouge de la valise.
© International Center of Photography. Boîte rouge de la valise.

Perdus depuis 1939, la valise et son précieux contenu ont réapparu en 2007.

En 32 stations, l'exposition nous propose de découvrir la vision de moments particuliers de la guerre d'Espagne à travers le regard des trois photographes.
Pas uniquement avec des tirages, certains connus et d'autres moins, mais surtout avec des planches contacts qui nous permettent de revivre les événements en découvrant alors la séquence vécue et capturée par le photographe.

Parcourir cette exposition nous permet aussi d'assister, de l'intérieur en quelque sorte, à la naissance du photojournalisme de guerre moderne, avec trois figures légendaires, dont un couple romanesque et engagé, Capa et Taro.

Fred Stein. Gerda Taro et Robert Capa sur la terrasse du café Le Dôme à Montparnasse (Paris, début 1936)© Estate of Fred Stein - International Center of Photography
Début 1936, Terrasse du café Le Dôme à Montparnasse, Paris
Gerda Taro et Robert Capa
© Estate of Fred Stein - International Center of Photography

Je ne connais pas d'autres cas d'une couverture photographique d'un conflit par un couple.
Février 1937, Cité universitaire, Madrid, Espagne. Un officier républicain et Gerda Taro. © Robert Capa © International Center of Photography/Magnum Photos.
Février 1937, Cité universitaire, Madrid, Espagne.
Un officier républicain et Gerda Taro.
© Robert Capa © International Center of Photography/Magnum Photos.

Gerda Taro meurt en 1937 pendant la bataille de Brunete et il est très émouvant de découvrir ses clichés, dont ceux réalisés juste avant son décès.
Mai 1937, Valence, Espagne. Foule à la porte de la morgue après un raid aérien. Gerda Taro © International Center of Photography/Magnum Photos.
Mai 1937, Valence, Espagne.
Foule à la porte de la morgue après un raid aérien. Gerda Taro
© International Center of Photography/Magnum Photos.

Robert Capa couvre ensuite la Seconde Guerre mondiale, fonde, en 1947 avec Henri Cartier-Bresson, George Rodger and David "Chim" Seymour, l'agence coopérative Magnum et meurt en 1954 en Indochine.
Février 1937, Madrid, Espagne. Deux soldats républicains et un ours. © Robert Capa © International Center of Photography/Magnum Photos.
Février 1937, Madrid, Espagne.
Deux soldats républicains et un ours.
© Robert Capa © International Center of Photography/Magnum Photos.

Espagne, le 7 novembre 1938, près de Fraga, sur le front d’Aragon. Les troupes loyalistes pendant l’offensive le long du Rio Segre. © Robert Capa © International Center of Photography/Magnum Photos.
Espagne, le 7 novembre 1938, près de Fraga, sur le front d’Aragon.
Les troupes loyalistes pendant l’offensive le long du Rio Segre.
© Robert Capa © International Center of Photography/Magnum Photos.

Le Barcarès, mars 1939, France. Des exilés républicains escortés par un policier français. © Robert Capa © International Center of Photography/Magnum Photos.
Le Barcarès, mars 1939, France.
Des exilés républicains escortés par un policier français.
© Robert Capa © International Center of Photography/Magnum Photos.

David Seymour meurt lui durant l'affaire du canal de Suez en 1956.
Chim, Chim (David Seymour), Femme allaitant son bébé durant un meeting sur la réforme foncière, Badajoz, Estremadure, Espagne, 1936 ©© Estate of David Seymour / Magnum Photos
Fin Avril, Début mai 1936, près de Badajoz, Estremadure, Espagne
Femme allaitant son bébé durant un meeting sur la réforme foncière
© Estate of David Seymour / Magnum Photos

Février 1937, Bilbao, Espagne. Parade © David Seymour/Magnum Photos.
Février 1937, Bilbao, Espagne
Parade
© David Seymour/Magnum Photos.

Pablo Picasso Guernica
Pablo Picasso Guernica

Picasso devant son tableau Guernica © David Seymour/Magnum Photos
Picasso devant son tableau Guernica
© David Seymour/Magnum Photos

Pour l'histoire de la Guerre d'Espagne, pour l'histoire de la photographie, il faut aller Rue du Temple.
Vous ne pourrez pas dire que j'ai prévenu trop tard: un billet deux mois avant la fin d'une exposition est bien le signe d'une exposition exceptionnelle !


L'histoire de la valise mexicaine de Robert Capa par telerama



La valise mexicaine de Robert Capa racontée par... par telerama