Intéressante idée de choisir dans le fonds de la BNF, parmi les millions de clichés conservés, une centaine d'images et de les présenter, non pas chronologiquement, mais en un assemblage où les photographies se valorisent mutuellement.

Ainsi le visiteur découvre les multiples facettes de cet art encore jeune, un temps en concurrence avec la peinture.
Tous les genres et toutes les époques sont présents, les grands noms de la photographie aussi et d'autres moins connus.

Pour prendre le contrepied de la BNF, l'Oeil Curieux a pris son pourcentage sur l'exposition et propose donc 10 images, mais classées par date.
La présence de chacune d'entre elles pour ce billet est (plus ou moins) justifiée par une raison qui tient à mon histoire de la photographie, qui a commencé, avec l'argentique, bien avant le blog de l'Oeil Curieux.

Sur cette splendide marine de Gustave le Gray plane l'ombre tutélaire de la peinture.
Cadrage et sujet sont révélateurs du début d'un art, la photographie, pratiqué par des artistes souvent formés à la peinture ou au dessin.
Mais quelle perfection dans cette vague brisée.
Gustave Le gray La Vague brisée. 1857. Mer Méditerranée. N°15.
Gustave Le Gray
La Vague brisée. 1857. Mer Méditerranée. N°15.

La nature morte est encore un legs de la peinture, magnifiquement illustré par cette étude de Charles Hippolyte Aubry.
Comme je ne pratique pas le studio, la nature morte me reste assez étrangère, mais je suis sensible aux textures et aux couleurs de ce type de photographie, toujours vivant avec Paulette Tavormina.
Charles Aubry Groupe de différents lierres 1864
Charles Aubry
Groupe de différents lierres 1864

Avec Albert Renger-Patzsch, la photographie bascule dans l'ère moderne, avec l'industrie et la ville.
Je me retrouve dans ces sujets fortement géométriques, dans cette façon de faire apparaitre la beauté dans la simplicité des formes.
Albert Renger-Patzsch Cheminées d'usine. Ruhr. 1929
Albert Renger-Patzsch
Cheminées d'usine. Ruhr. 1929

Je ne pratique pas le nu, contrairement à František Drtikol, ni les surimpressions.
Je ne connaissais pas ce photographe tchèque, qui visiblement aimait le corps des femmes et sa représentation de la mère Nature n'est pas sans rappeler l'origine du monde de Courbet.
František Drtikol Mother Earth 1931
František Drtikol
Mother Earth 1931

Avec « les courbés » de Manuel Álvarez Bravo, la photographie se révèle un formidable médium pour révéler l'ironie ou le surréalisme de simples situations de la vie quotidienne.
Partir dans la rue, avec son appareil, et regarder, l'essence même de ma pratique photographique, avec parfois de surprenantes rencontres.
Los agachados (Les Courbés) 1934 Manuel Álvarez Bravo © Colette Urbajtel / Archivo Manuel Álvarez Bravo, s.c.
Manuel Álvarez Bravo
Los agachados (Les Courbés) 1934
© Colette Urbajtel / Archivo Manuel Álvarez Bravo, s.c.

La « Tête Aztèque » de Brassaï (ou « Le Roi Soleil », comme je l'ai aussi trouvé en faisant mes recherches pour ce billet) est la cousine de mes clichés de Street Art.
L'acte photographique permet de sauver d'une disparition inéluctable des oeuvres éphémères par nature.
BrassaÏ Graffitti La Magie Tête Aztèque 1952
BrassaÏ
Graffitti La Magie Tête Aztèque 1952

Encore la rue, autant de rencontres sans passé, ni avenir, comme les affectionnait Gary Winogrand.
Lui aussi aimait les femmes, et il les photographiait sans se lasser au gré des hasards de ses promenades.
Garry Winogrand, USA Californie, 1964
Garry Winogrand
USA Californie, 1964

Évidemment, si je devais descendre mon pourcentage à 1 pour cent, je ne conserverais que cette photographie de Gilles Caron.
Mon éblouissement date de 1978, quand le magazine « Photo » a publié un numéro spécial « Mai 68 », avec bien sur, des images de Caron.
Gilles Caron est l'archétype du photographe de guerre, auquel je devais un peu m'identifier (avec moins de risques) quand j'allais photographier les manifestations dans Paris, à la fin des années 70.
Gilles Caron Rue des Feuillantines. Paris. Mai 1968 © Fondation Gilles Caron
Gilles Caron
Rue des Feuillantines. Paris. Mai 1968
© Fondation Gilles Caron

Il fallait au moins une photographie en couleurs dans ma sélection, mais l'usage de la couleur est relativement récent dans la photographie, même si des procédés industriels ont existé dès le début du XXe siècle, comme les autochromes.
Je n'ai donc pas eu un choix très étendu parmi la centaine d'images proposées par la BNF.
J'aime aussi la mise en abime, le cadre dans le cadre de la photographie de Ghirri, que j'ai découvert à cette occasion.
Luigi Ghirri 1971
Luigi Ghirri 1971

Pour terminer, mais aussi renvoyer au commencement de ce billet, le beau paysage de Pierre de Fenoyl, avec son élégant cadrage, illustre l'utilisation de la photographie pour recenser le patrimoine de notre pays.
La mission photographique de la DATAR, pour laquelle ce cliché fut réalisé, est la version moderne de la Mission héliographique de 1851, à laquelle a participé Gustave le Gray, auteur de la marine en introduction de ce billet.
Pierre de Fenoyl Castelnau de Montmiral, Tarn, 1985-1987, Datar
Pierre de Fenoyl
Castelnau de Montmiral, Tarn, 1985-1987, Datar

Un des premiers livres de photographie accueillis dans ma bibliothèque est justement « La mission héliographique  Photographies de 1851», acheté au Musée d'Angoulême.

Comme quoi, tout doit être écrit à l'avance (sauf mes billets...)