L'Oeil Curieux

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Tag - Robert Adams

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mardi 29 mai 2018

Les lieux des petits riens

Troisième rencontre avec Robert Adams, troisième émerveillement.
Certainement le plus intense.

Malgré une apparente banalité, avec des cadrages déroutants (l'appareil était dissimulé derrière un sac à provisions et donc les photos prises à mi-hauteur d'homme ; mais finalement aussi à la hauteur d'un regard d'enfant) et des situations ordinaires, cette série « Nos vies et nos enfants » est d'une puissance inexplicable.

Elle est le regard d'un homme qui a pris conscience que l'humanité, avec l'arme nucléaire, possède le pouvoir déraisonnable de se détruire.
Que cette destruction soit le fait de frappes déclenchées dans le cadre d'un conflit, ou peut être pire, d'un déclenchement accidentel, ne changera rien à l'issue: la disparition de nos vies et des nos enfants.

Dans l'exposition, il y a des textes du photographe expliquant sa démarche dans la réalisation de cette série.

D’après moi, pour trouver en nous-mêmes la volonté d’interroger inlassablement les politiciens, nous devons d’abord chérir les individus avec lesquels nous vivons.
Il nous faut découvrir ce que chacun de ces êtres recèle d’absolu mystérieux.

Robert Adams Extraits de la postface de Our Lives and Our Children, Aperture, 1983
Traduit de l'anglais par Brice Matthieussent

Cette quête d'absolu mystérieux, elle se déploie devant nos yeux.

Un enfant tendrement porté dans les bras,
Robert Adams sans titre série "Our Lives and Our Children: Photographs Taken near the Rocky Flats Nuclear Weapons Plant 1978-81" © Robert Adams
Our Lives and Our Children: Photographs Taken near the Rocky Flats Nuclear Weapons Plant 1978-81
© Robert Adams

Des couples, jeunes et vieux,
Robert Adams sans titre série "Our Lives and Our Children: Photographs Taken near the Rocky Flats Nuclear Weapons Plant 1978-81" © Robert Adams
Our Lives and Our Children: Photographs Taken near the Rocky Flats Nuclear Weapons Plant 1978-81
© Robert Adams

Robert Adams sans titre série "Our Lives and Our Children: Photographs Taken near the Rocky Flats Nuclear Weapons Plant 1978-81" © Robert Adams
Our Lives and Our Children: Photographs Taken near the Rocky Flats Nuclear Weapons Plant 1978-81
© Robert Adams

Une petite fille souriante qui va sauter dans les bras de son grand-père,
Robert Adams sans titre série "Our Lives and Our Children: Photographs Taken near the Rocky Flats Nuclear Weapons Plant 1978-81" © Robert Adams
Our Lives and Our Children: Photographs Taken near the Rocky Flats Nuclear Weapons Plant 1978-81
© Robert Adams

Une autre petite fille, très élégante, portant sérieusement un gobelet,
Robert Adams sans titre série "Our Lives and Our Children: Photographs Taken near the Rocky Flats Nuclear Weapons Plant 1978-81" © Robert Adams
Our Lives and Our Children: Photographs Taken near the Rocky Flats Nuclear Weapons Plant 1978-81
© Robert Adams

Un caddy plein de limonade et une famille qui rejoint sa voiture.
Robert Adams sans titre série "Our Lives and Our Children: Photographs Taken near the Rocky Flats Nuclear Weapons Plant 1978-81" © Robert Adams
Our Lives and Our Children: Photographs Taken near the Rocky Flats Nuclear Weapons Plant 1978-81
© Robert Adams

Derrière ces petits riens, ces situations que nous ne regardons même plus au quotidien, il y des vies, de la joie et des chagrins, du passé et de l'avenir, il y a tout ce que nous devrions chérir par-dessus tout.

Pour une dernière exposition Impasse Lebouis, avant son installation Rue des Archives, la Fondation HCB nous offre un très émouvant poème d'amour.


mardi 29 avril 2014

Instaurer une paix

J'ai rencontré Robert Adams à la Fondation Henri Cartier Bresson il y a un an, lors de l'exposition sur la collection Greenberg.
Enfin, rencontré une de ses photographies.
"Colorado Springs, Colorado" 1968 © Robert Adams
"Colorado Springs, Colorado" 1968 © Robert Adams

J'avais été subjugué par le jeu d'ombre chinoise et la construction géométrique du cliché.

Depuis, en préparant ce billet, j'ai lu que Robert Adams trouvait que cette image d'une silhouette de femme, dans le pavillon d'un lotissement, illustrait l'isolement le plus triste et le plus inhumain type d'habitation qui soient.
Mais par ailleurs il trouvait que la lumière qui inondait le toit et la pelouse, la lumière du ciel du Colorado, était sublime.

Cette complexité et cette apparente contradiction se retrouvent dans l'exposition proposée par le Jeu de Paume.

Le photographe explore l'Ouest Américain, les endroits ou il vit.
Comme Lewis Hine au début du vingtième siècle, il montre ce qui devait être corrigé, mais il montre aussi ce qui devait être apprécié.

Ses paysages capturent la destruction de la nature par l'homme, son empreinte néfaste sur la planète, mais dans le même temps, il y a un élément rédempteur, la lumière, souvent la végétation et particulièrement les arbres.

La lumière naturelle rend possible cette image magnifique d'un feu de pétrole.
"Burning Oil Sludge, Boulder County, Colorado," 1974 © Robert Adams
"Burning Oil Sludge, Boulder County, Colorado," 1974 © Robert Adams

Et la magie de ce paysage nocturne naît de la lumière artificielle des lampadaires.
"Summer Nights Walking" 1976-82 © Robert Adams
"Summer Nights Walking" 1976-82 © Robert Adams

Les arbres sont des présences tutélaires qui veillent sur notre monde.
"Redlands, Looking toward Los Angeles across San Timoteo Canyon, San Bernardino County, California," 1978 © Robert Adams
"Redlands, Looking toward Los Angeles across San Timoteo Canyon, San Bernardino County, California," 1978
© Robert Adams

"Sitka Spruce, Cape Blanco State Park, Curry County, Oregon," 1999-2003 © Robert Adams
"Sitka Spruce, Cape Blanco State Park, Curry County, Oregon," 1999-2003
© Robert Adams

Ma photographie préférée regroupe des arbres et la lumière.
"East from Flagstaff Mountain, Boulder County, Colorado," 1975 © Robert Adams
"East from Flagstaff Mountain, Boulder County, Colorado," 1975
© Robert Adams

Comme il se trouve que Robert Adams l'apprécie aussi particulièrement, je lui laisse la décrire.

C'est une de mes photographies dont je suis satisfait, prise au-dessus de Boulder, Colorado...
Nous sommes sur un contrefort, probablement à 300 m au-dessus de Boulder.
Le bas de l'image est une sorte de coupe d'arbres sombres.
Et dans cette coupe se trouve la ville de Boulder et par delà, un paysage de plaines.
Pour moi, c'est une image particulièrement réussie, car elle suggère une partie de la nature contradictoire de l'expérience de l'Ouest.


La brochure du Jeu de paume indique que l'un des objectifs artistiques d'Adams est de « découvrir une tension si parfaite qu'elle instaure une paix ».

Mon âme débordait de paix quand j'ai quitté le Jeu de Paume...


jeudi 18 avril 2013

Vive émotion Impasse Lebouis

Elles attendaient au fond de la salle du second étage.
Quatre d'entre elles m'étaient déjà connues.
Forcément, des photographies de guerre, des icônes du photojournalisme devenues simplement des icônes de la photographie !
Mais je ne les connaissais qu'imprimées dans des livres, et jamais dans une telle proximité.

Alors quand j'ai découvert ces images de guerre et ce sidérurgiste aux yeux embrasés du feu des hauts fourneaux, l'émotion m'a submergé, littéralement.
Je suis resté de longues minutes à porter le regard de l'une à l'autre, un peu en retrait du flot des visiteurs.
Des têtes me les masquaient parfois et j'attendais la fin de l'éclipse pour bruler à nouveau mes rétines au noir & blanc de ces chefs d’œuvre.

W. Eugene Smith, Sidérurgiste, Pittsburgh, Pennsylvania, 1955. ©Magnum Collection/Magnum Photos
Mort d'un milicien © Robert Capa, 1936 Eddie Adams, Exécution d'un suspect viet-cong, Saigon, 1968
Robert Capa, Omaha Beach, Normandy, France Evgueni Khaldei - Le drapeau rouge sur le Reichstag, Berlin, 2 mai 1945

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  1. W. Eugene Smith, Sidérurgiste, Pittsburgh, Pennsylvania, 1955. ©Magnum Collection/Magnum Photos
  2. Robert Capa, Mort d'un milicien © Robert Capa, 1936
  3. Eddie Adams, Exécution d'un suspect viet-cong, Saigon, 1968
  4. Robert Capa, Omaha Beach, 6 juin 1944, Normandy, France
  5. Evgueni Khaldei - Le drapeau rouge sur le Reichstag, Berlin, 2 mai 1945


Les petites images pleines de pixels ne pourront jamais sourdre de la puissance des sels d'argent des tirages d'époque.

Peu de clichés concentrent autant de l'histoire de la photographie de guerre.

Le doute plane encore sur l'authenticité de l'image de ce milicien républicain fauché en pleine course, situation reconstituée ou réel et tragique instant volé.

Pour le drapeau rouge sur le Reichstag, aucun doute, il s'agit d'une mise en scène, reproduisant l'allégorie des marines américains plantant la bannière étoilée à Iwo Jima.
Mais un des soldats soviétiques portait une montre à chaque bras, indice d'un probable pillage, et l'image fut donc retouchée pour devenir « présentable ».

Pas de doute non plus pour le cliché d'Omaha Beach.
Robert Capa était certainement capable de tordre la réalité et la lecture de ses mémoires « Slightly out of focus »(Juste un peu flou) confirme un goût certain pour l'embellissement.
Mais son courage était tout aussi indéniable et il était bien au milieu des GI's débarquant sur « Omaha la sanglante ».
Cette image et 10 autres rescapées faillirent n'être jamais vues, car une erreur de manipulation détruisit la quasi-totalité des négatifs lors du séchage.

Quant à l'exécution du suspect viet cong, elle valut à son auteur, Eddie Adams, le prix Pulitzer mais contribua à retourner l'opinion publique contre la guerre du Vietnam.

Et derrière l'ouvrier de W. Eugene Smith, hallucinant portrait expressionniste, se cache l'histoire d'un reportage qui ne devait durer que 3 semaines et qui finalement dura 3 ans.

Si l'émotion n'a pas été aussi forte devant toutes les images de la collection d'Howard Greenberg, la visite reste l'expérience unique du parcours d'une riche encyclopédie de la photographie.
J'ai ressenti l'excitation et le plaisir du galeriste quand il pouvait ajouter une photographie à sa collection, après en avoir vendu tant d'autres qu'il ne pouvait s'offrir.

Et j'ai imaginé que je pourrais en choisir quelques-unes, pour les ramener dans mon intérieur.
Quelques unes avec lesquelles j'aimerais vivre, jour après jour.

De Walker Evans, célèbre pour ses portraits de fermiers pauvres durant la grande dépression, j'accrocherais cette belle mise en abime de la photographie. Walker Evans, Penny Picture Display, Savannah, 1936
Walker Evans, Penny Picture Display, Savannah, 1936

« Le motard et le radiateur » deviendrait une mystérieuse fable graphique, m'interrogeant à chacun de mes regards.
Lee Friedlander, Floride, 1962
Lee Friedlander, Floride, 1962

Je ne me lasserais jamais de ce tableau abstrait de Siskind.
Aaron Siskind, Jerome, Arizona 1949, © Aaron Siskind Foundation
Aaron Siskind, Jerome, Arizona 1949
© Aaron Siskind Foundation

J'attendrais avec patience de voir disparaître l'ombre chinoise dans la fenêtre.
Robert Adams ‘Colorado Springs, Colorado’ 1968
Robert Adams ‘Colorado Springs, Colorado’ 1968

Enfin, je serais toujours étonné de la douceur qui émane de ce tricycle dans la neige, bien éloignée des inquiétants personnages masqués dont raffolait Ralph Eugene Meatyard.
Ralph Eugene Meatyard, Untitled, c. 1955
Ralph Eugene Meatyard, Untitled, c. 1955