Sacrée tempête d’équinoxe !
Poséidon doit être particulièrement courroucé pour lancer ses paquets de mer qui résonnent dans toutes les pierres de mon phare.
Comme le courroux des dieux est contagieux, Éole déchaine son souffle divin pour éteindre l'impudente lumière des hommes.

Mais le cliquetis, d'une précision horlogère, du mécanisme de rotation des lentilles se fait entendre dans les rares accalmies venteuses.
Et je sais de ma dernière vérification que le feu du pétrole déchaine ses lames de lumière et découpe la nuit en tranches régulières.

Alors les dieux peuvent bien continuer à passer leurs nerfs sur mon navire de pierre, ils ne m’empêcheront pas de dispenser ma lueur bienveillante pour l'homme de barre qui ne demande qu'à arriver à bon port.

« Garde-côtes à la mie de pain » s’exclame le capitaine Haddock à la lecture de cette introduction !
« Quel est cet ostrogoth d’œil curieux qui cherche à nous faire prendre nos vessies pour des lanternes en faisant croire qu'il est gardien de phare ? »

Mais bougre d'amiral de bateau-lavoir, je ne prétends rien de semblable !
C'est une tentative littéraire pour amener mes peu nombreux mais fidèles lectrices et lecteurs à s’intéresser à l'exposition « Phares » du Musée de la Marine.

Parce qu'après ma visite, la lentille de Fresnel n'a pas plus de secrets pour moi, ni la fabrication des phares, de pierre ou métallique, sur le littoral ou un morceau de rocher perdu au milieu des flots.

Gravures, maquettes, peintures et photographies nous font voyager le long des cotes de France, avec les ouvriers, marins, techniciens, ingénieurs et savants qui ont participé à cette œuvre de bâtisseurs de la mer.
Une formidable épopée humaine, dont le héros mythique est le gardien de phare, seul dans la nuit, à veiller sur la lumière salvatrice.
De ce temps révolu, puisque tous les phares français sont automatiques depuis 2004, restent les témoignages, récits, photographies et films, ainsi que les objets que les gardiens créaient durant les longues heures de quart.

La surprise de l'exposition est la découverte de François Jouas Poutrel, gardien du phare de Roches-Douvres durant 21 années, et peintre...de phares.
Mais des portraits « à la manière de », comme si Matisse, Léger ou Klee avaient posé leur chevalet en bord de mer pour représenter ces géants de pierre, modèles idéaux à l'immobilité maitrisée.

François Jouas Poutrel, à la manière de Matisse
François Jouas Poutrel, à la manière de Matisse

François Jouas Poutrel, à la manière de Modigliani
François Jouas Poutrel, à la manière de Modigliani

François Jouas Poutrel, à la manière de Hugo Pratt
François Jouas Poutrel, à la manière de Hugo Pratt



Alors bande de bachi-bouzouks, hissez le grand foc et cap sur le Palais de Chaillot.
Pour vous servir d'amer, il y a un très beau phare fabriqué par Monsieur Eiffel à quelques encablures...