A 23 ans, Marie Laure de Decker part couvrir la guerre du Vietnam.
Mais du conflit, elle ne photographie que l'envers, les jeunes GI qui passent le temps à Da Nang, les prostitués de Saigon, les épaves des véhicules de l'armée américaine qui font le « bonheur » des ferrailleurs locaux.
Pas de cadavres, pas de sang, pas d'images chocs.
Elle couvrira de nombreux conflits et bouleversements politiques : Yemen, Tchad, Palestine, Chili, Afrique du Sud, toujours avec cette approche respectueuse des femmes et des hommes photographiés.
Elle est un oeil à l'écoute de l'autre.
Je la connaissais de nom, sans avoir précieusement en mémoire une photographie à lui attribuer.
Alors l'exposition de la MEP m'a fait découvrir une très grande photographe, engagée tant par le choix de ses sujets de reportages, que par sa qualité d'attention à l'humanité.
Je n'étais pas préparé.
Le nom de James Nachtwey ne m'évoquait rien, et comme souvent dans ce cas-là, je n'avais pas cherché à en savoir plus avant la visite de l'exposition à la MEP.
La découverte est tellement enrichissante.
Je n'étais pas préparé à la pénombre des salles et à ces tirages grand format, éclairé chacun par un spot.
Chaque image jaillissait de l'ombre ambiante, lumineuse comme un vitrail.
Quel choc !
Dans cette image d'un combattant des contras, mortellement blessé et porté par ses frères d'armes, s'incarne l'art de Nachtwey. James Nachtwey - Nicaragua, 1984
Avec quelques ingrédients, la composition et le symbolisme, ce simple portage se transfigure en descente de la croix.
Il ne faut rien déceler de péjoratif dans mon utilisation du terme ingrédients.
Derrière les clichés, il y a toujours l'instant décisif et l'oeil du photographe.
Mais il y aussi ce que j'appelle ingrédients, des éléments constitutifs qui se retrouvent d'une image à l'autre.
Comme un cuisinier qui signerait ses plats avec quelques épices et herbes.
Symbolisme donc avec l'effondrement de la tour sud du World Trade Center. James Nachtwey -New York, 2001
Symbolisme encore avec ce prélat qui voyage en hélicoptère militaire pour assister à la messe célébrée par le pape Jean Paul II. James Nachtwey - Guatemala, 1983
La photographie est ombre et lumière, ingrédients de base, parfaitement maîtrisés par Nachtwey, l'un des fondateurs de l'agence VII.
Sinistres théâtres d'ombres chinoises des toxicomanes pakistanais et des réfugiés, creusant les ruines du camp de Jénine en Cisjordanie. James Nachtwey - Pakistan, 2001
James Nachtwey - Cisjordanie, 2002
Lumière d'espoir sur les patients en désintoxication. James Nachtwey - Pakistan, 2001
Photographier, c'est aussi encadrer la réalité, et là encore les ingrédients sont présents.
La rigueur, James Nachtwey - Afghanistan, 1996
encore la composition, avec cet œil qui nous regarde et cette assiette d'eau salvatrice, James Nachtwey - Soudan, 1993
Et le petit avant plan, de gamins juchés sur le fut d'un canon, qui donne de la profondeur, visuelle et historique, à une scène de vie quotidienne dans les ruines. James Nachtwey - Afghanistan, 1996
Nachtwey est un témoin, des guerres, des famines, de la pollution, de la misère, du malheur du monde.
Son témoignage est extrêmement talentueux, avec un art consommé de la photographie, il n'en est pas moins douloureux, mais indispensable.
Post Scriptum
En fait, je connaissais déjà Nachtwey, enfin une des ses photographies les plus célèbres, avant ma visite, mais je n'avais pas retenu le nom du photographe.... James Nachtwey - Rwanda, 1994
J'aurais aimé intituler mon billet « la photographie française que j'aime existe… je l’ai rencontrée à la MEP ».
Cela était un peu long et Jean-Luc Monterosso, qui est à l'origine de l'exposition, aurait pu m'accuser de plagiat éhonté.
Toujours est-il que son choix de photographes français m'offre à mon tour l'occasion d'en choisir une poignée pour ce billet.
C'est subjectif, partial et partiel et je le revendique comme tel.
Monsieur Depardon, je n'arrête pas de le découvrir et je trouve vraiment intéressant ce dialogue entre ses chroniques new-yorkaises , en noir et blanc en 1981 et devenues en couleurs ces derniers temps.
De l'image de 2017, je goûte le contraste entre un Brooklyn populaire, avec ses boutiques aux devantures colorées et le « skyline » de Manhattan, symbole d'opulence. Raymond Depardon, Correspondance new-yorkaise N°8/9. 9 mai, 8h, Brooklyn.2017
Pour l'admirateur des photographes de guerre que je suis, Sophie Ristelhueber et Raphaël Dallaporta en sont des espèces un peu particulières, archéologue pour l'une et encyclopédiste pour l'autre.
Ici les traces laissées dans le paysage d'Irak, comme des cicatrices. Sophie Ristelhueber, Fait #20, 1992
Là, dans une présentation clinique, des mines antipersonnel, paisibles et terribles. Raphaël Dallaporta, Antipersonnel
Tout était ordinaire.
J'avais renouvelé mon abonnement Duo à l’accueil et je montais au troisième étage de la MEP.
L'exposition sur Marlène Dietrich, sise au second, ne m'avait pas spécialement enthousiasmé, n'étant pas enclin à l'adoration aveugle des admirateurs invétérés.
Nino Migliori est un voyant, dont le regard bienveillant transfigure le modeste porteur de pain en un personnage christique. Nino Migliori, Portatore di pane, 1956
Je crois beaucoup aux passeurs et au hasard.
Les passeurs sont celles et ceux, qui un jour, vous donnent l'envie de découvrir une œuvre, un artiste, un lieu.
Le hasard est le grand entremetteur, organisant la rencontre avec le passeur au détour d'une émission de radio ou de télévision, d'une discussion à la machine à café.
Ainsi, mercredi 27 septembre, le hasard, avec son grand pouvoir, a tordu l'univers pour que je tombe sur Arnaud Laporte et sa dispute, sur France culture.
À partir de la 41e minute et quelques secondes de l'émission, le hasard a orchestré avec précision ma découverte du peintre italien Giorgio Morandi.
Il est vraiment bon prescripteur le hasard de l'Oeil Curieux.
Il connaît aussi bien Paris et mes lieux habituels de visite, car la Galerie Karsten Greve n'est pas très loin de la MEP, ce qui m'a permis un passage par l'hôtel de la rue de Fourcy, avec quelques satisfactions.
Le procédé a beau être bien connu, l'effet en est toujours saisissant et Liu Bolin se fondant dans un dragon mérite le détour. Liu Bolin - Dragon Series Panel 7 of 9, 2010
Plus inattendus, les travaux d'Anne et Patrick Poirier interrogent la mémoire, faisant de la photographie le support d'une nouvelle création.
Mémoire encore et toujours avec la série « Dust » de la photographe Russo-suédoise Xenia Nikolskaya et ses belles demeures cairotes toutes empoussiérées d'un passé de splendeur. Xenia Nikolskaya - Villa Casdagli, Garden City, Cairo, 2010
J'avais presque oublié le pouvoir de la photographie, sa puissante révélation de l'humanité.
Samedi, après avoir visité trois étages de la MEP, j'avais le cœur chiffonné.
Andres Serrano a commencé à triturer mon cœur d'artichaut avec ses portraits.
Non pas ceux de la série « America », initiée après les attentats du 11 septembre, ni ceux de membres du Klu Klux Klan.
Klanswoman (Grand Klaliff II) Andres Serrano
Mais d'abord avec ces portraits de sans-abri de New York, puis ceux de Bruxelles avec sa série « Denizens of Bruxelles».
Par la mise en scène de ces portraits, par leur beauté, le photographe nous fait voir des hommes et des femmes que nous ne regardons plus quand nous les croisons dans la rue.
Diana Michener, avec ses animaux tristes, m'a ensuite rappelé combien j'ai toujours peu aimé les zoos.
Diana Michener Anima Animals
C'est anecdotique, mais je me souviens avoir écrit une dissertation au collège, dans laquelle, je disais que l'homme, jaloux de la liberté des animaux, les enfermait, et qu'en réalité, nous étions les prisonniers, mais que nous l’ignorions.
Au début, les zoos permettaient de découvrir les animaux de lointaines contrées, maintenant, alors que tout peut être vu sur internet, nous y gardons les dernières exemplaires d'espèce que nous n'avons pas encore fait disparaître de notre planète commune.
Les machines intelligentes, dont il est dit parfois qu'elles nous remplaceront, conserveront elles quelques humains en cage pour la mémoire ?
Quant à l’exposition « Family Pictures », elle pioche dans les collections de la MEP et propose des œuvres mettant en images des proches des photographes, père ou mère, enfant, ou mari et femme, comme Emmet Gowin qui a photographié Edith, sa femme, tout au long de leur vie commune, muse aimée et célébrée par des portraits amoureux à tout age.
Edith, Danville, Virginia, 1971 Emmet Gowin
Je n'en connais pas la raison profonde, mais je n'ai pratiquement jamais pris mes proches en photographie, ni mes parents, ni ma femme ou mes enfants.
Pourtant, je suis toujours ému quand je regarde les photographies prises par les autres, dans lesquelles je retrouve, par exemple, mes garçons aux divers âges de l'enfance.
Mais j'ai nié à mes propres photographies ce rôle de mémoire...
Aussi chiffonné soit-il, mon cœur d'artichaut ne m'a pas privé de plaisir en terminant ma visite avec les deux autres artistes proposés.
D'Harry Callahan, déjà présent dans « Family Pictures » avec Eleanor, j'ai retenu un magnifique travail sur l'ombre et la lumière, fruit de son séjour provençal, dans les années 50.
Johann Rousselot, découvert dans la toujours excellente émission « Ping Pong », met enfin une dernière touche de couleurs à ce billet, avec une image de New Delhi, mégalopole effrayante et fascinante.
J'aurais pu consacrer mon billet aux images de Christine Spengler, photographe de guerre que j'ai récemment découverte dans un documentaire d'Arte sur les femmes photographes de guerre.
Mais finalement, j'ai retenu de ma riche visite à la MEP, les paysages industriels d'Alain Pras.
Je ne connaissais pas ce photographe mais nous étions déjà frères.
Mon fond d'écran, sur mon ordinateur professionnel est une image que j'ai prise sur le Port de Québec.
Il interpelle souvent mes collègues qui ne le trouvent pas « beau ».
il est vrai que ce n'est pas le paysage couramment exposé à un retour de vacances.
Je trouve dans l’agencement des formes, dans les couleurs, une puissance esthétique qui m'attire.
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