Il est toujours intimidant d'aller visiter un Maitre.
Vais-je reconnaitre tous les incontournables de l'histoire de la photographie, exposés devant mes yeux ?
Vais-je apprécier et "comprendre" ses premiers clichés, qui, déjà, contiennent en germe la grandeur des œuvres à venir ?

J'ai donc pénétré avec respect la pénombre de l'exposition André Kertész au Jeu de Paume.
Le parcours étant chronologique, il permet de ressentir combien la photographie a été naturelle et présente durant toute l'existence d'André Kertész, depuis ses premières photographies, banals mais historiques petits formats, jusqu'à sa série de Polaroïds, prise après le décès de sa femme en 1977.
Par le choix des sujets, par sa curiosité jamais rassasiée mais aussi la présence de thèmes récurrents, comme les cheminées et les ombres, sa pratique photographie se confond avec son existence d'homme, faisant de lui même, dans ses nombreux autoportraits, ou de sa femme ou de son frère (en "Scherzo") des modèles idéaux.
Toujours l'émotion affleure dans ses images et révèle le regard singulier d'un homme qui a, en toute simplicité, participé à l'histoire de la photographie.

Comme mon propos n'est pas de relater en détail l'exposition (visible jusqu'au 6 février 2011), je vais conclure ce petit billet par trois impressions.

La Poésie est le premier trésor ramené de cette rencontre avec André Kertész et je ne vois pas plus beau joyau que son "Peintre d'ombre"

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Le peintre d'Ombre, André Kertész, 1926

Ensuite, André Kertész a effacé mes derniers scrupules à recadrer les photographies.
Ayant eu Henri Cartier Bresson comme "Ange Gabriel" me révélant la venue de la photographie dans ma vie, le recadrage m'a longtemps semblé l'aveu d'une imperfection chronique lors de l'acte originel de la prise de vue.
Déjà la découverte de la pratique de Willy Ronis avait ébranlé ce dogme d'HCB, intégriste génial qui poussait la pureté jusqu'à faire apparaitre le bord noir du négatif sur ses tirages.
Willy Ronis recadrait, avec modération certes, mais il recadrait !
Avec André Kertész, le recadrage devient une nouvelle étape de la photographie, ultime geste d'orfèvre pour achever le travail entamé lors de la prise de vue.
Il n'hésite pas, ne conservant, par exemple, d'un portrait de lui-même avec sa femme, qu'un cadrage serré sur un demi visage et une main posée sur une épaule. Le portrait de couple, relativement banal, est devenu, par une taille maitrisée, une image symbolique du couple.
Je peux désormais recadrer, sans demander pardon à Henri Cartier Bresson !

Kertesz_189.jpg
Elisabeth et moi,1931,André Kertész
Épreuve gélatino-argentique, tirée vers 1961
25,3 x 17,5 cm
Collection of Sarah Morthland, New York


Enfin, j'avoue, au risque de passer pour un espèce de photographe amateur, inculte et incapable de comprendre la vraie photographie, ne pas avoir apprécié ses distorsions.
Si j'en comprends la modernité à l'époque des prises de vues, elles ne me "parlent" pas, restant à mon gout des recherches formelles, finalement assez inesthétiques.
J'ai malgré cela éprouvé une petite satisfaction artistique en trouvant une résonance entre une de ses distorsions et une œuvre de Salvador Dali !

Andre Kertész Distorsion
Distorsion, Andre Kertész

Salvador Dali, L 'énigme de Guillaume Tell
L'énigme de Guillaume Tell, Salvador Dali