L'Oeil Curieux

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dimanche 2 octobre 2016

Un autre regard

Mon tropisme pour l'Empire du Soleil Levant guide souvent mes pas et délie ma plume.
En attendant d’atterrir à Tokyo, Haneda, la Maison de la Culture du Japon, Quai Branly, est une destination plus proche et qui distille néanmoins de délicieuses saveurs nipponnes.

J'y ai fait, samedi, une de mes plus enthousiasmantes rencontres de l'année.

Paul Jacoulet, né à Paris en 1896, a vécu pratiquement toute sa vie au Japon, ou il est arrivé à l'âge de 3 ans.
Au Japon, il est reconnu comme l'un des derniers grands maîtres de l'estampe ukiyo-e, «  image du monde flottant  ».
L'expression semble particulièrement juste pour les portraits du maitre français  : il capture, avec une infinie justesse et une grande empathie, un monde pas si éloigné de celui Hiroshige, Hokusai ou Utamaro mais appelé à disparaître dans les années qui vont suivre.

Réalisées par les meilleurs artisans, ses estampes sont une étonnante synthèse de technique et formalisme totalement japonais et du regard curieux d'un artiste nourri d'art occidental.

Paul Jacoulet porte un regard d’ethnologue sur les danses traditionnelles.
Danses D'Okesa. Sado, Japon - Paul Jacoulet, 1952
Danses D'Okesa. Sado, Japon - Paul Jacoulet, 1952

Il croque avec tendresse la vie quotidienne, un jeune enfant porté par son frère, quelques piments rouges proposés par un modeste marchand et la tranquille contemplation d'une chenille verte.
Les Deux Freres. Izu, Japon - Paul Jacoulet, 1936
Les Deux Freres. Izu, Japon - Paul Jacoulet, 1936

Les Bons Piments Rouges. Johokuri, Coree - Paul Jacoulet, 1954
Les Bons Piments Rouges. Johokuri, Coree - Paul Jacoulet, 1954

La Chenille Verte. Coree - Paul Jacoulet, 1936
La Chenille Verte. Coree - Paul Jacoulet, 1936

Dans la grande tradition, il maîtrise aussi les sujets animaliers et végétaux.
Le Nid. Coree - Paul Jacoulet, 1941
Le Nid. Coree - Paul Jacoulet, 1941

Ses trois jolies Coréennes emmitouflées célèbrent la beauté féminine, dans une élégante composition.
Flocons De Neige. Pengyong, Coree - Paul Jacoulet, 1956
Flocons De Neige. Pengyong, Coree - Paul Jacoulet, 1956

Il faut vraiment voir les œuvres pour savourer la justesse des traits, la richesse des couleurs et la somptuosité des effets de transparence, comme dans «  les perles  » pour lesquelles plus d'une centaine de planches ont été nécessaires.
Les Perles. Mandchoukuo - Paul Jacoulet, 1950
Les Perles. Mandchoukuo - Paul Jacoulet, 1950

Gaufrage, utilisation du mica, d'or, couleurs éclatantes, les estampes présentées sont un pur ravissement.
Encore deux semaines pour voyager dans le monde flottant avec le maitre français....


samedi 31 mai 2014

Une exposition qui tranche

Voici plus de 18 mois que je ne vous ai pas infligé un billet japonisant !

Avouez que vous étiez un peu en manque.
Non ?
Vraiment ?

Pour le retour du Japon chez L'Oeil Curieux, je frappe un grand coup avec une exposition qui allie Passé et Futur : « Evangelion et les sabres japonais  », ou quand les samouraïs croisent le Manga.

L'idée originale de cette exposition a été de faire réaliser par des artisans les sabres futuristes utilisés dans la série animée Evangelion.

Si les domaines sont très éloignés, Manga science-fiction d'un côté et artisanat millénaire de l'autre, cette rencontre me semble finalement très représentative du Japon, ou cohabitent harmonieusement les traditions et une extrême modernité.

Je ne sais pas si les amateurs de Manga ont été comblés par leur visite, mais comme amateur d'art du Japon, cette exposition a été un pur enchantement.

Elle révèle avec des vidéos le secret de la fabrication des sabres japonais.

Photographie : Amiami Blog.com



Le métal en fusion, la précision du geste de l'artisan, ce sentiment que se répète avec la même perfection un savoir qui traverse les âges, tout concourt à un spectacle fascinant.

Différentes vitrines permettent de mieux connaître les différentes parties d'un sabre (avec en particulier de splendides tsuba, gardes, délicatement ouvragées).


Puis, vient alors la contemplation des sabres.

La pièce la plus impressionnante est incontestablement la « Lance de Loginus », longue de plus de 3 mètres !


Ainsi nommé en référence à la lance du soldat romain qui transperça le flanc du Christ, la double lame réalisée en damas de corroyage déploie ses entrelacs avec élégance et du manche en double hélice émanent force et équilibre.

Le Tantô EVA-02 est une autre merveille, avec le motif ajouré de la jeune fille gravé dans la lame.

Photographie : Amiami Blog.com



Cette technique de sculpture appelée rankan sukashi est maîtrisée par peu d'artisans au japon et confère à cette pièce une place unique dans l'histoire du sabre japonais.

Si les couleurs des fourreaux (saya) et des poignées (tsuka) sont résolument modernes et revoient aux armures des EVA (les robots géants du manga Evangelion), les savoir-faire employés pour la fabrication des lames et des autres parties sont traditionnels et font des pièces présentées de dignes successeurs aux sabres des époques passées.


Photographie : Amiami Blog.com

Admirez ici le grain de la peau de requin ou de raie qui recouvre la poignée.

Photographie : Amiami Blog.com


Photographie : Amiami Blog.com


Photographie : Amiami Blog.com

Et là, le laçage de tresse.

Photographie : Amiami Blog.com

Pas besoin donc d'être un Otaku pour apprécier cette exposition.



Et pour continuer dans le japonisme et l’Asie, allez faire un tour au Musée Guimet découvrir la collection de Clémenceau avec ses surprenantes boites à encens (kôgô).
Boîte à encens (kôgô) en style Oribe Japon, préfecture de Gifu, fin de l’époque Momoyama (1573-1603)- début de l’époque d’Edo (1603-1868), début XVIIème siècle Mino-yaki Musée des Beaux-Arts de Montréal
Boîte à encens (kôgô) en style Oribe


dimanche 11 novembre 2012

Sourions nippon.

Attention sujet grave !
L'Oeil Curieux, connu dans la blogosphère pour son sérieux et l'austérité de ses billets, aborde aujourd'hui un aspect méconnu de l'art japonais : l'humour ou « Warai ».

Le Japon n'est pas spontanément associé au rire ou au sourire quand sont évoquées la cérémonie du thé ou la tradition, malheureusement tombée en désuétude, du Seppuku.
De même, l'art japonais, empreint de spiritualité Zen, aux estampes de courtisanes, guerriers et centaines ou trentaines de paysages célèbres ne déclenche pas de crises d'hilarité irrépressibles.

Pourtant, et le mérite en revient à la Maison de la Culture du Japon à Paris (MCJP), il est du devoir de l'Oeil Curieux d'avertir ses fidèles lectrices et lecteurs, que l'humour gangrène l'art japonais, et ceci depuis très longtemps.

Dès le IIIe siècle , les Haniwa, figures funéraires, se mettent à sourire béatement.
Quelle protection sérieuse un guerrier peut-il assurer avec un visage barré d'un franc sourire ?
Comme si les démons craignaient la gaité...
Haniwa "Porteurs de boucliers" Honjo City Board of Education
Haniwa "Porteurs de boucliers"
Honjo City Board of Education

Les interdits étant bousculés, il n'est plus de domaines épargnés par les ravages de l'humour.
La religion et tous ses acteurs font l'objet de railleries et moqueries.

Ainsi, les moines mendiants, dont les rudes journées s'écoulent à faire l’aumône, sont dépeints comme une joyeuse bande psalmodiant un sutra en quittant leur monastère, et une bande tout aussi comique en le regagnant, collecté effectuée.
Procession de moines mendiants - Nantenbô Procession de moines mendiants - Nantenbô
Procession de moines mendiants - Nantenbô

L'audace des artistes ne connait pas de limites et les démons eux-mêmes se voient représentés dans des situations grotesques, sous le prétexte fallacieux de dénoncer les personnes qui lavent leurs corps sans purifier leur âme.
Image d'Ôtsu "Démon prenant un bain"
Image d'Ôtsu "Démon prenant un bain"

Le règne animal n'est pas épargné et d'innocentes et paisibles créatures, comme ce buffle aux grands yeux bleus ou bien souvent des singes, sont impliquées, à leur corps défendant, dans de dérisoires tentatives pour les rendre humaines ou comiques.
Buffle - Nagasawa Rosetsu
Buffle
Nagasawa Rosetsu

La rouerie des artistes nippons suppôts de l'humour s'acoquine à une technique graphique maitrisée pour mieux tromper le commun des mortels.
Dans les « Kage-e » ou « images de l'ombre », la réalité se révèle complètement différente de son ombre, jetant le trouble dans l'esprit du spectateur.

Dans l'estampe d'Utagawa Kuniyoshi, un artiste coutumier des débordements humoristiques, l'ombre des poissons s'avère être en réalité des Tanuki, animaux mythiques aux testicules hypertrophiés, combattant un pauvre chasseur.
Les ombres trompeuses. "Chasseurs avec tanuki ou les poissons rouges et le carpillon" - Utagawa Kuniyoshi
Les ombres trompeuses.
"Chasseurs avec tanuki ou les poissons rouges et le carpillon"
Utagawa Kuniyoshi

Les ombres trompeuses. "Chasseurs avec tanuki ou les poissons rouges et le carpillon" - Utagawa Kuniyoshi
Les ombres trompeuses.
"Chasseurs avec tanuki ou les poissons rouges et le carpillon"
Utagawa Kuniyoshi

Ces quelques exemples édifiants rendent compte des ravages de l'humour dans l'art japonais.
Estampes, mais aussi sculptures, inrõ et nombre d'objets, souvent de belles factures, sont le support de cet humour et la MCJP en propose un large assortiment dans son exposition.

L'Oeil Curieux a tiré la sonnette d'alarme avec ce billet qui clôt une riche saison japonaise 2012.
Celles ou ceux qui s'aventureront à visiter cette exposition sont maintenant prévenus des risques de déformation du visage sous l'effet incontrôlé d'une contraction des muscles zygomatiques, petits et grands.




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